Et s'il ne me restait qu'un an à vivre ?

Et s'il ne me restait qu'un an à vivre ?

Cela fait plus de 20 ans que j'écris, chaque jour. Pas tant par passion de l'écriture elle-même que pour ce qu'elle permet. « Si tu ne sais pas demande, si tu sais partage », une maxime qui était celle d'INpact Hardware à sa création et que j'ai faite mienne depuis. Car c'est avant tout cela qui m'anime lorsque j'allume mon écran chaque matin : que vais-je pouvoir apprendre aujourd’hui, à nos lecteurs et à moi-même ?

Si je suis habitué à prendre la plume, je le suis aussi à utiliser le « nous » collectif, celui d’une rédaction. Une forme de vieille école qui consiste à penser que l'important est le sujet plus que celui qui le porte, qui se passionne assez peu pour l'ère de télé-réalité globale où nous vivons. Pourtant, ici et aujourd'hui, j'ai ressenti le besoin d'utiliser le « je ». Vu le sujet, il n'aurait pu en être autrement.

Des débuts laborieux

Ceux qui me connaissent ou me suivent régulièrement connaissent sans doute une partie de mon histoire. Né en 1982, j'ai passé ma jeunesse dans les environs de Nancy, vivant en HLM avec ma mère. Mon père, tout adorable qu'il fût les rares moments que nous avons passés ensemble, était un alcoolique notoire, sans doute parce que brisé par la vie comme beaucoup d'autres. Ils ont divorcé dans mes jeunes années.

Je n'ai que peu de souvenir de cette époque. Ma vie est un peu segmentée en grosses portions, comme une série qui change de personnages à chaque saison. Je n'ai gardé que peu de contacts avec ce qui était alors « ma famille », seulement avec un demi-frère découvert sur le tard, tout aussi pudique sentimentalement que moi.

Mon dernier échange avec mon père était un 14 février. Il cherchait à parler avec ma mère pour lui souhaiter « une bonne Saint-valentin », j'ai raccroché. L'année suivante, je n'ai pas eu cette « chance ». Il est décédé quelques semaines plus tôt. À l'époque je n'ai pas cherché à savoir de quoi, depuis non plus. On m'a simplement expliqué qu'il s'était éteint dans sa chambre pendant son sommeil, d'un arrêt cardiaque. Rien de bien inhabituel pour un alcoolique notoire.

Sans vouloir jouer à l'adolescent de série américaine, c'était une période compliquée pour moi. Outre cette perte, ma mère venait de m'annoncer qu'elle partait vivre dans le sud de la France avec celui qui partageait sa vie depuis quelques années (ex-mari de l'une de ses sœurs, accessoirement). J'avais 17 ans, une petite amie que j'aimais moi aussi de longue date et une large préférence pour elle vis-à-vis de ma mère. Je prenais donc une décision : rester à Nancy et m'installer.

Ma mère et moi nous vivions ensemble sans toujours nous comprendre, l'adolescence certainement. Mais elle m'avait eu jeune, avait été employée des années dans le même supermarché que mon père (elle à la fromagerie/charcuterie, lui à la poissonnerie) avant qu'il ne soit racheté et qu'ils ne perdent leur travail. Depuis le divorce, elle devait sans doute composer avec ex-mari pas toujours à jour dans le paiement de sa pension alimentaire, de petits boulots et un fils tendance autiste social qui faisait des maths pour se calmer (mais j'ai eu 19 au Bac, comme quoi).

Elle avait la force de ne pas vouloir se laisser bouffer par cette vie, de chercher à en profiter malgré tout, de penser à elle. Avec le recul, je l'admire pour ça, même si l'adolescent de l'époque ne voyait que celle qui rentrait parfois en furie du travail, inspectait tout l'appartement à la recherche du moindre écart, s’énervait parfois pour des broutilles. Je passais donc l'essentiel de mon temps dans ma chambre, à geeker (nous y reviendrons).

17 ans, déjà l'INdépendance

À 17 ans donc, je prenais mon premier appartement. Au hasard d'une recherche dans un canard local je trouve une petite annonce : une ex-chambre de bonne de 23 m² (avec la douche dans une armoire) était à louer dans un immeuble juste à côté de celui des parents de ma petite amie.

Le cynisme du David de 2021 pourrait avoir tendance à dire « mauvaise idée mon garçon », mais c'est sans doute l'une des meilleures que j’ai jamais eues. L'un de ces petits clins d'œil de la vie qui me font croire (j'ai été enfant de chœur après tout) au destin et au karma malgré ma rigueur scientifique.

Car outre cette proximité avec ma belle-famille, qui m'a été d'une aide précieuse à cette époque, je suis tombé sur celle qui allait devenir à la fois ma prof’ de français, principale et propriétaire, qui a participé à mon salut (même si j'étais loin d'être le locataire idéal, du fait de ma situation). Surtout, quelques mois après mon installation et celle de ma mère dans le sud, elle était opérée d'un kyste au cerveau.

Rien de grave en soi, mais on lui a découvert à l'occasion un cancer au poumon qui avait une sale tendance à se généraliser (amis médecins, mes excuses pour les approximations de ces informations, issues de mes souvenirs et non de son dossier médical). Quelques mois plus tard, elle décédait sur son lit d'hôpital. J'avais demandé au médecin de me prévenir si son état s'aggravait du fait de ma distance géographique (et de la lenteur du Metz-Nice). Quand je suis arrivé à la Timone, il était trop tard.

Pourquoi vous raconter cela aujourd'hui ? Parce que mes parents avaient un an d'écart, à leur naissance et à leur mort. Ils sont tous les deux décédés à 40 ans. De cette expérience, j'ai gardé une certaine vision de la vie. Certains se seraient gravés « YOLO » ou « Carpe Diem » sur le bras, mais je ne suis pas un grand adepte des choix définitifs (je suis balance). Je me le suis donc gravé dans le cœur.

Non pas pour brûler la vie par les deux bouts (j'étais cet ado qui faisait des maths pour se calmer je vous rappelle), mais plutôt en essayant de lui donner du sens, d'être utile et à m'élever au passage. Comme chacun, je ne voulais pas reproduire les erreurs de mes parents (même si comme chacun, j'ai découvert au fil du temps que je tenais d'eux plus que je ne le croyais).

J'en ai aussi tiré deux règles : je ne fume pas et je bois peu, avec de rares exceptions (mes turpitudes sont ailleurs, ajoutais-je plus jeune).

INternet saved my life

Si vous lisez ceci, c'est sans doute que vous savez mon implication dans ce qui fût mon premier bébé (bien que je n'en sois pas le père originel, ni le grand patron) : INpact Hardware, devenu depuis PC INpact puis Next INpact (et à nouveau INpact Hardware 😅). C'est donc depuis cette ancienne chambre de bonne de 23 m², qu'orphelin et à peine adulte, j'y faisais mes débuts.

Ma mère avait eu le bon goût de partager un temps sa vie avec un geek qui participait au choix des cadeaux. Une rencontre, même indirecte, peut changer une vie. J'ai donc eu une TV assez jeune, tout comme une NES, un Amstrad CPC 464 (à K7) puis un PC à base de 486 DX-2 (avec Turbo !). Nous étions dans les années 90, je troquais mon livre de maths pour celui de MS-DOS, qui me calmait tout autant, mais m'ouvrait à de nouvelles aventures.

J'ai passé une partie de ma jeunesse accroché à cet ordinateur, puis à d’autres (tout en gardant ma capacité à avoir des amis et une copine, comme quoi). Une habitude qui ne me quittera plus jamais. Car nous étions à une époque où tout était à apprendre, où les ressources étaient rares et coûteuses (à moins d'avoir une médiathèque gérée par des geeks aux environs). Je découvrais avec d’autres.

Les week-ends et fins d'après-midi, je retrouvai un ami dans un Darty près de chez moi où les employés étaient assez sympas pour nous laisser jouer aux consoles, puis avec les ordinateurs (Ah, les monoblocs Compaq...). Nous partagions ensemble les joies de Doom, Commander Keen, Command & Conquer en réseau (via un port série à l'époque). Puis d'Internet, que nous n'avions pas encore à la maison, ça coûtait trop cher.

On y trouvait déjà de nombreux sites, c'était même une période où Jeuxvideo.com était navigable. On passait des heures sur des forums à essayer de comprendre comment « ripper » Matrix correctement. On s'échangeait des CD/DVD gravés au lycée (désolé Pascal Rogard, mais je suis un grand consommateur de culture « légale » désormais, promis), on organisait des « LAN Party ».

Pendant les vacances, on se retrouvait avec quelques amis au centre européen de Nancy-Metz où une connexion universitaire (déjà de la fibre à l’époque) nous attendait sur plusieurs ordinateurs que l'on se réservait (avec un peu d’astuce) pour la journée. Pas tant pour des recherches scolaires que pour aller sociabiliser sur Caramail ou des chats en Java.

Des communautés en ligne se créaient, se rencontraient parfois « IRL ». C'est sans doute de là qu'est né ma passion du clavier, d'échanger avec l'extérieur à travers lui. Même s'il m'arrivait parfois d'avoir des relations épistolaires (tendance copie double). Une autre idée de la drague.

Du chaos à l'espoir, il n'y a que quelques pas

Participer à un site en ligne a été pour moi une manière de trouver une solution à ce qu'était ma vie à l'époque. J'étais en filière électrotechnique, que j'avais choisi pour son aspect pratique et large (on y traitait tant de mécanique que d'électrique de puissance), puis sans doute parce que mon nom m'y prédestinait. J'avais bien tenté d'intégrer une classe spécialisée dans l'informatique, mais il y avait peu de place et mon dossier avait été recalé. Moi et l'éducation nationale, on s'est souvent loupés.

Je dois néanmoins ici saluer la plupart des professeurs dont j'ai croisé le chemin (sauf un en particulier), tant ils m'ont souvent été d'une grande aide ou m'ont inspiré lorsque j'ai eu à me structurer et faire mes propres choix. Ma propriétaire bien sûr, celui qui fût l'un de mes exemples de rigueur morale (Monsieur Williams, seul que je me permets de citer ici tant je lui suis reconnaissant), ceux avec qui l'on faisait des TP « four industriel » pour finir par manger des galettes en allant boire un verre avec la prof' d'anglais au bar du coin. L'éducation, c'est aussi de bons moments. Mais également tous ceux qui ont toujours su être à l'écoute en cherchant à me faire réfléchir, avancer, tout comme mes camarades. Dans des conditions parfois difficiles (dont mon caractère).

À côté de cela, je passais une partie de mon temps en ligne à apprendre sur ce qui me passionnait vraiment : l'informatique. J'ai bidouillé quelques sites, joué avec des GIF 3D qui tournent. Suffisamment pour comprendre que la création de pages web sous Frontpage Express, ce n'était pas mon délire, je préférai bidouiller des scripts et découvrir du matériel. Un jour, un petit site (devenu un piège à SEO depuis) cherchait des bénévoles pour écrire, j'ai postulé et publié mes premiers articles sous un pseudonyme très inspiré : Angel (enfant de chœur forever).

Je ne passais plus alors ma journée sur des forums ou dans des chats, mais à écrire pour faire découvrir à d'autres le fruit de mes recherches. À être utile pour plus d’une personne à la fois. Depuis mes 23 m², j'ai commencé à recevoir des cartes graphiques et cartes mères, à décortiquer des documentations techniques de dizaines de pages pour en faire des articles.

Je me rappellerai toujours ma première conférence de presse chez NVIDIA (Stéphane Quentin était déjà là), où l’ado en hoodie que j’étais (bonjour le cliché) représentant un site web venait prendre des notes entouré de gens sérieux et en costume qui se demandaient ce que je faisais là. Ils travaillaient pour la presse, la vraie, papier (ba dum tss).

Exister, pour les lecteurs

Après mon BTS, j'ai dû faire un choix, déjà évoqué au fil de mes interventions sur Twitter : continuer à vivre de ma bourse de 384 euros par mois (avec peu d'APL) pendant plusieurs années et intégrer une école d'ingénieur… ou bosser (et toucher bien plus d'APL, allez comprendre). J'ai toujours été un pragmatique et la situation ne me laissait guère le choix.

J'ai donc commencé à travailler, quittant INpact Hardware que j’avais rejoint en 2002 pour Morex (un importateur très connu à l'époque). Mon embauche tenait tant de mes connaissances que de la volonté de ma patronne de m'aider à débuter dans la vie. Je lui en serais aussi éternellement reconnaissant. Mais au fil des années (dans d'autres activités), cette vie de l'autre côté du miroir ne me plaisait pas. J'ai donc fini par retomber dans mes premières amours et réintégré la rédaction de PC INpact en 2005. Vous connaissez la suite, je l'ai déjà raconté.

Depuis, je me lève chaque matin (entre 4h et 6h désormais, #LeBrief) avec cette même passion qui était celle de mes débuts. Découvrir de nouvelles choses, creuser, apprendre, tester, digérer et tenter de l'expliquer au plus grand nombre. Mais toujours avec cette volonté d'informer avant de divertir (oui je sais, la tendance c'est l'inverse), de prendre le temps de faire les choses en profondeur. Parce que quand le monde découvre avec effroi qu'un certificat racine expire, on ne peut pas expliquer ce qui se passe en deux minutes sans raconter n'importe quoi. Ainsi va la vie.

L'aventure Next INpact, m'a appris à le faire en équipe. Parce que seul, rien de tout cela n'aurait été possible. Si je fourmille d'idées et de sujets d'intérêts, que j'aime me projeter dans le futur de mon secteur (le numérique, la presse ou les deux), je n'ai pas la passion ou l'envie pour la gestion d'entreprise, pas plus que pour le feu des projecteurs. Et puis, comme nous l’apprend tout bon film hollywoodien, c’est ensemble que l’on remporte la victoire. Je tiens ici à remercier toute l’équipe qui m’accompagne, actuelle ou passée, pour son travail. Chacun a apporté sa pierre à ce bel édifice.

Même si ce n'est pas toujours facile de tenir à flot une aventure de presse indépendante assise sur des principes forts, cela fait 20 ans que nous faisons ce que bon nous semble. Que nous analysons avec l'esprit critique qui nous caractérise les stratégies numériques des gouvernements de tous bords, de tous les constructeurs et éditeurs. Parfois ils comprennent, parfois ils nous en veulent, mais au bout du compte, tous s'accordent à dire que nous faisons du bon boulot. C’est pour moi l'essentiel.

La liberté dont nous bénéficions n’est pas tombée du ciel, nous nous sommes battus pour l'obtenir, malgré les dérives du marché publicitaire et sa tendance à ne pas vraiment soutenir les médias qui vont au fond des choses, malgré les obstacles rencontrés sur les modes de financement. C’est avant tout grâce au soutien sans faille de nos lecteurs à travers les années. Après ma femme et mon fils, c'est d'ailleurs un peu le troisième amour de ma vie. Pas de la même manière bien entendu, surtout que certains méritent quand même de sacrés claques. Mais parce que chaque fois que j'y pense, je me demande comment je pourrais exister et vivre de ma passion si ce n'était pour eux, avec eux.

Comme je l'ai dit plus tôt, la mort prématurée de mes parents m'a toujours incité à chercher à être utile en ce bas monde, à aider les autres. Certes, cela passe par dépanner le PC, le smartphone ou le Wi-Fi de tel ou tel en cas de besoin, à divers engagements personnels, au soutien de causes et de projets ici ou là (dans la mesure de ce que mon statut de journaliste me permet), notamment dans le milieu associatif ou l'open source. Mais pour moi, il n'y a pas plus utile dans le secteur du numérique qu'un média indépendant, qui prend le temps d'expliquer et faire découvrir des choses à ses lecteurs, au-delà de l'écume. D'un média au regard critique (positif ou négatif), qui n'a pas à se demander quel nouveau smartphone va être son préféré cette semaine, à reprendre la moindre rumeur en 15 minutes, ou à noyer un article de fond dans 42 sujets SEO pour plaire à Mr Google, puppet master du numérique.

Y-1

Il y a 4 ans, est né mon second bébé : Nolan (parce qu'on lui a coupé le cordon). Je ne vous infligerai pas le cliché du père dont la vie a été chamboulé par la naissance de son enfant, cela a bien entendu été le cas. Mais d'une certaine manière, j'avais toujours appréhendé ce moment de ma vie. Car avec lui venait une question : que se passera-t-il si je disparaissais à mon tour à 40 ans, comme s'il s'agissait d'une sorte de malédiction familiale. Cette question ne m'a pourtant jamais incité à me presser d'être père, j'attendais le bon moment, d'avoir trouvé la partenaire idéale et que nous soyons prêts à cela. Je tiens au passage à rendre le plus grand des hommages à celle qui partage ma vie, mes humeurs (et mes cartons de cartes mères) depuis maintenant 13 ans, ça nous portera bonheur, promis 🥰.

Pourtant, ma seule crainte est désormais de ne pas pouvoir passer avec lui tout le temps que je voudrais. Non pas par manque d’organisation dans la semaine (parce que oui, mes journées sont chargées), mais parce que je pourrais ne pas être à ses côtés à son entrée en primaire, au collège, au lycée, lorsqu'il découvrira l'amour et les peines qui s'ensuivent... mais aussi Python et les joies d’avoir son propre petit serveur avec du NVMe/TCP. De partager avec lui cette passion, ou n'importe quelle autre, ce que je n'ai jamais pu faire avec mon père, seulement à travers mon clavier.

Aujourd'hui, j'ai 39 ans. Un moment symbolique dans la vie de chacun, d'autant plus pour moi. L'année prochaine sera celle de la 20e année de mon engagement sur INpact Hardware, mais aussi d'une réponse fatidique : aurais-je un jour la joie d'avoir 42 ans (et 84) ? Je ne sais pas, et j'ai toujours pris l'habitude de vivre comme si cette question n'existait pas, tout en l'ayant à l'esprit. Je continuerai donc à faire de même, me levant chaque matin avec l’envie de toujours mieux informer nos lecteurs sur ce qui compte dans le numérique. Et de profiter de ma famille.

Dans tous les cas, je sais que mon engagement sur Next INpact et ses divers projets sera l'une des traces que je laisserai ici-bas (pour le temps qu'elle durera à l'échelle de l'humanité), avec la fierté d'avoir rendu hommage aux journalistes de presse papier croisés à mes débuts en lançant un magazine (bientôt le #3). Mais la plus belle sera sans doute mon fils. J’espère que nous pourrons apprendre à en laisser ensemble un jour.

Je vous aime tou·te·s, à l'année prochaine !